Staline, un brave type incompris ?

Que le lecteur ne bondisse pas de sa chaise. Un peu de retenue, je vous prie…
Non, je ne suis pas devenu un fervent admirateur du petit père des peuples. Mais comme c’est une question que l’on m’a posée, autant y répondre, non ?

La voici dans son contexte :

« As-tu déjà entendu dire que les bolchéviques ont tout mis sur le dos de Staline, que l’histoire a été falsifiée, et que Staline est en réalité un bon personnage ? »

Rien n’étant binaire en histoire, j’ai décidé d’avoir recours à une analogie, par définition imparfaite, pour expliquer le phénomène Staline. Ou du moins, la manière dont il perçu par le peuple russe, car je ne suis pas historien. Explications ci-dessous :

Staline, un brave gars traîné dans la boue ?

C’est surtout la thèse des gens qui avaient entre 15 et 25 ans sous Brejnev, et qui en ont maintenant 50 ans ou plus. Les années étudiantes sont toujours bien perçues, et au final, « quand on se mêlait pas de politique », tout allait bien en URSS.

Cette population a un attachement certain pour l’URSS, nostalgique de la grande époque du social, de la culture, de l’épopée spatiale…
On dit en Europe que ce pays était l’enfer, évidemment rien n’est tout blanc ou noir.
Tout comme Staline, précisément.

Je le trouve à plus d’un titre similaire à Napoléon.
L’empereur était une sorte de synthèse entre la Révolution et l’Ancien Régime, avec un tournant centré sur sa personne assez accentué, tandis que le fameux Géorgien… a aussi opéré une fusion entre les idées communistes et nationales.
Il s’en est pris à Trotski, qui lui visait une sorte d’internationale communiste, là où le camarade Joseph pensait prendre appui sur l’URSS pour exercer l’influence communiste sur le monde, quitte à ce que ce « communisme »-là soit empreint du style de Moscou.

Contrôle de la population… On retrouve ça chez Napoléon…

Idée de la grandeur de son propre pays, impérialisme, lutte acharnée pour répandre ses idées à l’étranger en les exportant avec les armes s’il le faut… Encore un point commun.

Sans oublier le culte de la personnalité, que certains qualifieront de « mégalomanie », à vouloir être à la fois le chef politique et religieux de son peuple… voire des autres…

Bien sûr, comparaison n’est pas raison, mais si on veut comprendre l’âme russe, il faut comprendre le rapport qu’il entretient avec son histoire.

En l’occurrence, les Russes ne jugent ni ne condamnent, mais intègrent. Et ce, d’autant plus facilement que Staline est perçu comme le Vainqueur de la Seconde Guerre Mondiale (la « Grande Guerre Patriotique » en russe !) plus que comme le petit père des peuples ou comme le bourreau des goulags, aspect tantôt occulté, tantôt minimisé par les sympathisants de Joseph le Rouge.

Et ce qui plait chez Staline pour les souverainistes russes, c’est une certaine politique de contribuer à la grandeur de l’URSS, et d’inciter tout ce qui va dans ce sens.

Ça peut aller de la stimulation de la natalité (restriction des avortements) jusqu’à un certain laxisme religieux, surtout dans une deuxième période, à partir justement de la guerre. Comprenant qu’il ne pourrait pas envoyer ses hommes au casse-pipe pour une idée éthérée du communisme, ni pour une conception parfois abstraite de la grandeur de l’URSS, il utilisa de curieux mots dans un discours resté fameux… « Mes frères et sœurs » (qui ressemble étrangement à un « mes bien chers frères, mes bien chères sœurs »!)… Preuve s’il en fallait qu’il avait compris que la religion et la piété, l’appartenance à la terre, soulèverait davantage les cœurs que des serpes et des marteaux, ou que les pistolets des commissaires du peuple…

En bref, Staline a à la fois encouragé un certain sentiment national (« compatible avec le communisme ») à partir de la Seconde Guerre Mondiale, tout en œuvrant à la marxisation des esprits à l’étranger, en utilisant de stratagèmes opposés (démoralisation de la population, propagande féroce…). Un personnage peut-être encore plus ambigu que Napoléon, avec ses adversaires acharnés et ses disciples non moins entêtés…

Quid des Bolchéviques de la question initiale ?

Quant aux bolchéviques, on parle d’une période antérieure, et assez différente sous beaucoup d’aspects. D’ailleurs, la plupart ont péri pendant les grandes purges staliniennes à la fin des années 30, donc ils n’ont pas pu dénoncer grand chose…

Peut-être que Trotski, réfugié au Mexique, a pu produire une littérature à charge assez abondante pour noircir la réputation du pauvre camarade de révolution. Mais il me semble que c’est davantage Khrouchtchev qui, après lui, s’est servi de Staline comme d’une bonne excuse pour expliquer les méfaits du régime le précédant.

Personnage ambigu donc, hautement condamnable par certains aspects, mais plaisant en URSS par sa détermination à soutenir la gloire du pays quoi qu’il en coûte. Encore une fois, comme notre Corse national…

On sait qu’il n’avait pas voulu échanger son fils, soldat, contre un commandant ennemi, car « un soldat ne vaut pas un commandant ». Ou encore qu’il s’habillait avec austérité, et que son logement était « minimaliste ».
Cela a dû contribuer à le faire apprécier auprès des Russes, qui sont toujours fascinés par l’ascétisme, fut-il idéologique.

Et ce qui me semble aussi évident, c’est que, pour susciter autant de haine, il n’a pas dû plaire à tout le monde : les critiques, notamment contemporaines, renseignent souvent plus sur notre temps que sur le personnage.

Rien n’est tout blanc ni tout noir, sauf les rivières d’encre qui couleront longtemps pour expliquer, justifier, ou au contraire condamner les exploits et méfaits du Géorgien soviétique. Qui rejoint en cela le Corse impérial.

Que Dieu ait pitié de son âme.

1 réflexion sur “Staline, un brave type incompris ?”

  1. Chaperon rouge

    C’est surprenant et inhabituel de lire un article où Staline est présenté ni comme un dieu ni comme le diable. L’auteur aspire à donner une vision non binaire des chose, ce qui est réussi !

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