Un samedi d’Automne à Rostov La Grande

Ce matin, il faut se réveiller tôt… Le bus part à 7h30!

Heureusement, le métro fonctionne toujours sans souci, et nous arrivons devant à… 7h26. C’est bien plus d’avance qu’il n’en faut !

Curiosité étrange, le bus a des places assignées… Et, bizarrerie supplémentaire, les Russes semblent les respecter…!

Aussi rejoignons-nous nos places, et finissons par dormir, bercés par la route…

Soudain, le soleil perce au milieu des nuages. Sa lumière, passée au peigne des arbres longeant la route, vient fouetter mes paupières. Un clignotement frénétique qui ne tarde pas à me réveiller.

Je ne parviendrai pas à me rendormir, mais on ne va pas se plaindre du beau temps ! Surtout quand le paysage, même à travers la vitre sale du bus, s’en trouve resplendir…

Une heure plus tard, nous étions arrivés. Rostov ! Et pas n’importe laquelle, Rostov la Grande ! Moins peuplée et moins large que son homonyme du sud, Rostov-sur-le-Don, mais enfin, ne peut-on pas être grand en cultivant sa modestie ? Rostov, donc, est grande par son histoire, et le nombre impressionnant de dômes que son kremlin comprend. Eh oui, un kremlin, car se fortifier n’est pas une prérogative de Moscou : et puis quoi encore ?

Ne s’étant pas privés de kremlin, les Rostoviens l’ont placé à côté d’un lac, au bord duquel nous nous promenions. La vue était si pleine de tranquillité que nous poussâmes jusqu’au monastère. Un fameux complexe de briques, d’icônes et de feuilles dorées par l’automne qu’on y respirait à pleins poumons.

Le monastère avait quelque chose de particulier … Les bâtiments étaient ornés d’étranges sculptures en forme de pins qui se répétaient… Des fresques rappelant Pompéi au-dessus de la porte de la cathédrale… Des statues d’un blanc angélique patientant dehors, dans une nudité à donner froid (mais sans indice sur le sexe desdits anges)…

Et pour finir, une myriade de couleurs, en apparence sans rapport, mais qui tapissaient les murs intérieurs de l’édifice dans une certaine harmonie…

Mais bien sûr, l’essentiel restait le kremlin ! Nous avions lorgné dessus, il restait à rentrer dedans pour de bon ! Un plan en deux temps : d’abord, prendre des forces dans un restaurant très folklorique, où les serveurs viennent s’enquérir de vos goûts culinaires vêtus d’habits traditionnels russes. Le tout dans une maison en bois, avec un fond musical harmonisé à la balalaïka…

Photo non contractuelle.
C’est uniquement une petite maison verte aux couleurs de la saison !

Photo non contractuelle.
C’est uniquement une petite maison verte aux couleurs de la saison !

Puis il suffisait de passer l’unique portillon séparant le domaine royal de celui des gueux, l’enceinte blanche et épaisse du kremlin, à côté de laquelle une babouchka vendait à tue-tête ses baies, avec une repartie enjouée, meilleure garantie de se faire des clients.

La cathédrale, en face, ne s’attendait pas à nous voir aujourd’hui : en pleine restauration, elle nous permit d’entrer, mais sans nous laisser admirer tous ses secrets.

À côté, une porte massive, plus hospitalière, laissait passer de nombreux touristes. Il y eut même une guide qui, nous entendant parler français, nous fit comprendre que nous lui faisions plaisir, rien que ça !

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce kremlin, mais celle dont il semble le plus s’enorgueillir, c’est d’avoir été le théâtre d’un film soviétique de premier plan : Ivan Vassilievitch change de profession. C’est l’équivalent de nos Visiteurs, ou d’un Retour vers le Futur, car dans ce film, il y a un échange spatio-temporel entre Ivan le Terrible et… Un insipide concierge sans humour, mais ressemblant étrangement au fameux tsar ! Une intrigue à succès, qui permit au kremlin de Rostov de figurer le kremlin de Moscou ! Kremlin à la place du Kremlin, on comprend sa fierté !

Pas mal, non ? C’est français russe !

Une fois fait honneur au kremlin séculaire, nous nous rendîmes dans une échoppe d’artisans, aux créations démontrant leur talent.

Et en sortant, ce fieffé gredin de soleil, disparu sans laisser de traces depuis ce matin, réapparut soudainement.

Ah, la ville en était changée ! Transformée… Radicalement métamorphosée !

Le kremlin aux milles dômes resplendissant sur son nouveau fond bleu. Le lac, illuminé, rayonnait lui-même de quelque antique mystère, et l’on voyait se profiler, au loin, le coucher de notre bonne vieille étoile…

C’est là qu’on se rendit compte de la profonde adéquation entre ce ciel bleu, d’un pâle nordique, et le jaune fringant de certains bâtiments. Tout prenait sens, et une nouvelle coloration ! L’occasion, bien sûr, de surcharger les téléphones de quelques dizaines de photos supplémentaires…

Enfin, nous passâmes voir un nouveau musée, au style très élégant, un musée d’art populaire. Et contrairement à son nom, l’art n’était ni moderne, ni amateur, bien au contraire ! Il s’agissait là d’une collection, petite mais grandissante, d’objets de la vie quotidienne, peints, sculptés, ornés par tout le génie et le talent d’un peuple qui n’en était, visiblement, pas dénué. Et comme à l’époque des villages, les techniques, motifs et formes changeaient d’une région à l’autre, réalité rendue particulièrement vivace en face de ces dizaines d’exemples d’artisanat populaire.

Il ne manquait que le murmure d’un chant oublié pour rendre l’atmosphère dans laquelle devaient vivre les ancêtres du guide du musée. Une époque semblant lointaine, et pourtant, qui ne date que de quelques générations…

La galerie n’était pas bien grande, aussi nous quittâmes ce témoignage aux grands ancêtres de Rostov la Grande. Quelques instants passés sur la berge, et bientôt de retour à la capitale. Avec un tel temps de trajet, nous ne pouvions faire que bref, mais bien !

Le kremlin, le monastère, le lac, les artisans des temps anciens et leurs descendants… Les paysages de ce pays si grand, dont on ne parcourt que quelques maigres pourcents en trois modestes heures de route… Le soleil, ponctuel comme l’Arlésienne, mais à qui on pardonne avec autant de douceur dès qu’on le voit poindre à l’horizon…

Et, surtout, ce peuple russe parmi lequel on se sent étonnamment bien ! Ces Russes du Nord, pâles à en développer des éphélides, et si calmes par rapport à nos businessmen de la capitale. Ces Provinciaux amoureux de la nature, qui lui rendent hommage par de longues promenades. Ces Rostoviens, détendus et simples, affables jusqu’à sembler sourire, même dans la rue (ce qui paraît pourtant impossible à un Russe !).

Après un réveil aussi difficile que méritoire, nous avions notre récompense !
Dans les jambes, une bonne fatigue à en dormir comme un bébé.
Dans la tête, les paysages que les yeux n’avaient pas arrêté de faire parvenir, l’improbable dont nous avions été témoin, et qui fera encore longtemps parler de lui ici.
Enfin, dans le cœur, un attrait renouvelé pour cette bonne terre russe, calme, franche et profonde comme l’âme de ses habitants !

Cyrano F. Glinka

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